Daniel Fournier, physicien expérimentateur

Daniel Fournier est responsable du groupe Atlas au CNRS-IN2P3 et l’un des responsables de projet du calorimètre électromagnétique à argon liquide (ce qui lui a valu une médaille d’argent du CNRS en 1993). Physicien expérimentateur, il s’est intéressé depuis longtemps aux recherches et développements sur les techniques de détection. En avril 2006, il donnait pour le journal de son laboratoire « LAL-Actualités », un point de vue original sur le métier de physicien. Extraits.

Que représente pour vous Atlas ?

C’est une expérience de physique des particules sur collisionneur de la nouvelle génération : elle a les mêmes difficultés que les précédentes, plus celles spécifiques à l’énergie et au taux d’interaction du LHC. Le détecteur est donc plus grand, plus compliqué, et aussi plus long à construire et plus cher. L’évolution de la physique dans notre domaine sur 20 ans a eu pour résultat un nombre d’expériences divisé par 10 et un nombre de collaborateurs impliqués dans chacune d’elles multiplié par 10 ! Les périodes de développement se sont considérablement allongées. Par ailleurs les phénomènes sont de plus en plus difficiles à observer. Il s’écoule 20 ans entre les premières idées et les résultats. Notre première réunion pour ce qui allait devenir Atlas a eu lieu en 1989, et le détecteur donnera ses premiers résultats en 2008, si tout va bien. Alors parfois des chercheurs ont eu tendance à s’écarter de ce genre d’expériences et ont même pu quitter la discipline. C’est le problème sociologique des grandes collaborations. Maintenant que l’on voit se rapprocher les objectifs de l’expérience, l’on observe cependant le retour de physiciens davantage tournés vers les tâches d’analyse des données que vers la construction de détecteurs. Je me souviens que, pour l’expérience NA 31, il y avait en tout 50 chercheurs et tout le monde se réunissait dans une salle modeste autour d’une grande table. Les discussions étaient en général plus intéressantes et l’ensemble des thèmes pertinents pouvait être abordés au cours d’une réunion. Dans Atlas, tout est fragmenté, les discussions sont souvent très techniques, et les arbres cachent parfois la forêt ! Pour Atlas, la période de la conception de l’expérience et du développement du détecteur, impliquant moins de personnes mais suffisamment de ressources, avait beaucoup de charme. La période la plus ardue fut celle du choix des détecteurs : il y avait plus de projets de recherches et développements que de besoins pour l’expérience (un sur trois environ a été choisi). On s’est fait quelques « ennemis », à l’époque ! Ce fut la foire d’empoigne pour le choix du calorimètre à électrons, pour le spectromètre à muons… Il faut rester 100% honnête scientifiquement tout en défendant pied à pied son projet... Mais je suis persuadé qu’il y aura aussi des bagarres dans la période d’analyse !

Comment s’organise une collaboration comme Atlas ?

Les responsabilités sont distribuées de façon équilibrée (quelquefois au prorata des ressources). Elles sont alternées tous les trois ans environ. Les responsables des sous projets sont élus par les représentants des instituts. Le porte-parole d’Atlas est inchangé depuis le début : Peter Jenni est constamment réélu en raison entre autre de sa disponibilité et de son dévouement… Mais, en règle générale dans une expérience aussi longue les gens s’usent. Pensez qu’au workshop d’Aix la chapelle, en 1990, il était question de démarrer les prises de données en 1998 !

Comment va se passer le démarrage d’Atlas ?

On a eu des difficultés à analyser les résultats enregistrés avec faisceaux tests et je m’interroge sur le temps qu’il faudra entre les premières collisions et les premiers résultats. L’analyse des données peut être désordonnée : elle est peu coûteuse en matériel et, par-là, peut-être, difficilement contrôlable. Il y a plusieurs grands thèmes de recherche. Au début ce sera un puzzle où chacun devra trouver sa place en fonction de ce qu’il sait faire. Pour la recherche du boson de Higgs, par exemple, il y a déjà 50 chercheurs — ou plus — qui préparent l’analyse. Et ce nombre va augmenter rapidement. L’organisation va prendre un certain temps, la compétition va jouer son rôle. Et la collaboration Atlas devra parler d’une seule voix. Il faudra donc canaliser ce « bouillonnement ». Le responsable de l’analyse des données va avoir du travail ! Il lui faudra le bon mélange de compétence, de capacité à convaincre et de maîtrise des outils.

Travailler au Cern ?

Il est très agréable de travailler au Cern, c’est un lieu de décision et on y trouve d’excellentes équipes techniques avec des moyens sans équivalent dans nos laboratoires. Un inconvénient de ces avantages est que beaucoup de gens y passent, que les meetings y sont innombrables et que l’on est souvent dérangé, au risque de ne plus avoir le temps de travailler vraiment.
La France est bien placée géographiquement car on peut faire un aller-retour au Cern dans la journée. L’un des problèmes des physiciens du Cern est de ne pas avoir d’étudiants en thèse. C’est une faiblesse car les jeunes réfléchissent plus vite, travaillent beaucoup et représentent une force d’analyse importante. La méthode d’organisation aux USA est différente, ils ont beaucoup plus de flexibilité dans le choix de l’utilisation d’un budget donné !

Que va t-on découvrir avec l’expérience Atlas ?

L’analyse des données n’est pas une entreprise où tout est planifié. Il se peut qu’une idée originale de quelques personnes travaillant rapidement sur un sujet auquel personne n’a pensé, ou qui a été laissé de côté parce que considéré comme marginal, vienne bouleverser la physique. C’est ce qui fait à la fois le charme du métier,… et le risque de ne pas être celui qui a trouvé quelque chose de nouveau... Les théories au delà du modèle standard sont compliquées, mais la réalité n’est pas forcément simple ! Dans une théorie donnée il y a tellement de possibilités et de paramètres qu’il faudra beaucoup de données expérimentales pour rétrécir l’éventail des possibilités théoriques actuellement ouvertes. Le modèle standard est là, on vit avec… mais « tester le modèle standard » n’est pas nécessairement ce qui me tient en haleine. Ce qu’il faut c’est produire effectivement des découvertes. Et l’on espère bien que le boson de Higgs sera au rendez-vous. Au-delà, ... […] Je pense qu’il ne faut pas prendre la démarche de « je dois vérifier la théorie » : il y a un contexte théorique à considérer, et on peut trouver des phénomènes nouveaux qui s’écartent de cette théorie. La théorie est un guide, pas une route.

Par contre nous avons une obligation morale : le détecteur doit marcher. C’est notre devoir d’expérimentateur de construire des choses qui marchent. Les chercheurs doivent justifier leur salaire par un peu de talent et d’imagination mais aussi du sérieux dans les choses dont ils ont la responsabilité. Dans tous les cas on doit « livrer » des choses qui fonctionnent, et ensuite procéder à l’analyse de façon méthodique. Il va falloir une sorte de « transition de phase » pour faire que l’activité complexe et d’apparence parfois un peu chaotique de tous les chercheurs qui rejoignent l’activité d’analyse, s’organise en un Tout harmonieux et efficace. C’est aujourd’hui un défi. Au niveau français nous avons travaillé ensemble de façon bien coordonnée pendant la construction, et une organisation minimum se met maintenant en place pour l’analyse. Découvrira-t-on quelque chose d’exceptionnel ? On le saura peut-être un an ou deux après le démarrage, il ne faut pas vouloir aller trop vite. Un détecteur doit être réglé pour qu’il marche bien ; il faut prendre le temps de le faire et ne pas chercher à aller tout de suite aux résultats ; il ne faut pas brûler les étapes.

pour en savoir +
  • Extrait des propos recueillis par Hélène Kérec et Sophie Henrot-Versillé pour l’Actualité du LAL n°42 : « Atlas au cœur de la matière ». Retrouver l’interview complète sur le site du Laboratoire de l’accélérateur linéaire.
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