Jean Iliopoulos, théoricien

Physicien théoricien, membre de l’académie des sciences, Jean Iliopoulos a collaboré avec Sheldon Glashow et Luciano Maiani à la construction théorique du mécanisme dit de GIM (initiales des trois auteurs), prédisant l’existence du 4ème quark, qu’on appellera par la suite « charme ». À son retour en France en 1971, il entre au CNRS et il rejoint le groupe de Physique théorique du laboratoire de l’École normale de Paris. Il s’est intéressé à la théorie des interactions des particules à hautes énergies ainsi qu’à la gravitation. Jean Iliopoulos a reçu de nombreuses récompenses internationales prestigieuses dont la Médaille Dirac, en 2007. Au printemps 2008, il donnait sa vision du LHC dans une interview pour la revue Elémentaire. Extraits.

Que va apporter le LHC ?

Le LHC est la première machine dans l’histoire de la physique des particules où les physiciens ont la garantie de découvrir une physique nouvelle, même si personne ne peut dire à l’avance ce que sera cette physique ! L’argument est le même que précédemment : les expériences passées ont permis de réunir un ensemble d’indications fortes que des « bêtes » existent à des échelles plus petites que celles testées jusqu’à présent et que le pouvoir de résolution du LHC permettra de les mettre en évidence de façon directe. Pour être plus précis, les expériences du LEP indiquent que le boson de Higgs du Modèle Standard doit être relativement léger (les résultats des expériences de précision menées au LEP sont difficilement conciliables avec l’existence d’un Higgs très lourd). Cependant, les calculs théoriques de la masse du Higgs dans le cadre du Modèle Standard montrent qu’il est difficile d’avoir un Higgs léger. Il doit donc exister un mécanisme permettant de comprendre la légèreté du Higgs !

Quelle est, selon vous, la nouvelle physique ?

Ce n’est là que spéculation de ma part. Mon pari est sur la supersymétrie. Tout d’abord parce que c’est une idée formidable, mais aussi parce qu’elle permet de rendre le Modèle Standard plus naturel. Si vous essayez d’expliquer le Modèle Standard à quelqu’un, il va voir que quelque chose ne marche pas. Par exemple le Modèle Standard est bâti sur l’idée d’une symétrie dite de jauge. Il s’agit d’une symétrie par rapport à des transformations agissant dans un espace « interne » qui a une structure compliquée parce que le Modèle Standard n’est pas symétrique par rapport à toutes les transformations, mais seulement vis-à-vis de certaines d’entre elles. Pourquoi ? Lorsqu’on inclut la supersymétrie, tout ceci devient naturel, plus simple dans un certain sens. C’est là mon idée.

Après le LHC ?

Il me paraît clair qu’il faudra aller plus loin. Cependant, il est impossible de prévoir dans quelle direction. Tout dépendra des résultats du LHC, c’est-à-dire de ce qu’est réellement la nouvelle physique. Si celle-ci se manifeste à des échelles d’énergies de l’ordre de quelques centaines de GeV, le collisionneur linéaire international (ILC), actuellement en
discussion, sera la machine appropriée. S’il faut aller jusqu’au TeV, il faudra envisager une machine comme le CLIC, voire un super CLIC. Mais pour une fois, je suis serein vis-à-vis de ces développements : que ce soit l’un ou l’autre, je suis sûr de ne pas les voir !

Pourquoi avez-vous fait de la physique ?

Souvent ce sont des événements un peu aléatoires qui déterminent la carrière de quelqu’un ! J’ai d’abord choisi la voie des mathématiques plutôt que des études littéraires, puis j’ai fait des études d’ingénieur. Mon premier travail a été dans la société Siemens, à Munich, en tant qu’ingénieur ; c’était la fin des années 50 ; les transistors existaient mais n’étaient pas assez fiables. On les utilisait dans les appareils radio, d’où le nom de ces derniers au début. Siemens commençait à remplacer les lampes par des transistors dans des appareils plus sophistiqués. Mais les jeunes ingénieurs ne savaient pas ce qu’était un transistor ! On ne nous l’enseignait pas ou seulement dans quelques écoles ! Le responsable de la recherche chez Siemens nous a donc chargés, un collègue et moi-même, de lire un gros dossier de notes sur le sujet, de comprendre la théorie des transistors et de l’expliquer aux membres du département. Nous n’y comprenions rien ! Dans ces notes, une phrase magique revenait à plusieurs reprises, disant que tel et tel phénomène – au coeur du fonctionnement des transistors – s’expliquait par les lois de la mécanique quantique. Nous avons donc décidé de nous renseigner sur cette mystérieuse « quantum mechanics » et avons acheté le tout nouveau livre de Messiah sur le sujet, ainsi que le fameux texte de Landau et Lifshitz, qui venait d’être traduit du russe en anglais.
Nous avons trouvé cela tellement passionnant, que nous avons tous deux démissionné de chez Siemens pour faire des études de physique théorique. Je suis venu en France faire un certificat d’études supérieures (l’ancêtre du DEA, lui-même ancêtre du Master 2). Mon ami est également devenu théoricien et est aujourd’hui professeur à Bruxelles !

pour en savoir +
  • Interview parue dans le numéro 6 de la revue Elementaire : « Le Modèle Standard ». Retrouver l’interview complète (en pdf) ici .
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